LE RETOUR DE MISTER CHANCE



Quand le péril croît, le salut apparaît.

Hölderlin

 

I

La nature ne fait jamais rien en vain


Chance Gardiner refait surface en ce début d’année. La planète tremble dès les premiers pas du 47e Président d'Océanie, Ronald Tramp. Celui-ci multiplie les déclarations incendiaires contre tout ce qui n’est pas dirigé vers la croissance de l’Océanie. C’est le slogan trampiste « Make Oceana Great Again » (MOGA). Tramp veut faire du Canada le 51e État des USA. Il ne réclame par ailleurs rien de moins que la bande de Gaza pour en faire un territoire sous gouverne océanique en invitant les Palestiniens à quitter leur terre ancestrale afin de tout reconstruire et d’en faire une sorte de nouvelle Côte-d’Azur avec des tours et des habitations luxueuses. L’opinion internationale condamne sans merci la suggestion du vorace président. Puis, il y a la politique migratoire du Président farouchement opposée l’immigration irrégulière sur le territoire océanique. Le Président entend en effet procéder à l’expulsion massive d’étrangers illégaux, sans papiers, réfugiés. Les autorités religieuses condamnent sans appel ces politiques migratoires funestes qui vont à l’encontre de la dignité des personnes.

Dustin Dust, le patron de Cybertruck, bras droit du Président, fait partie du cirque présidentielle. Le patron du réseau social X a mis sur pied sa commission extragouvernementale « Rodger », charger de tailler dans la dépense publique concernant l’administration de l’État fédéral océanique. Le 11 février dernier, le multimilliardaire est apparu dans le Bureau Rond de la Maison Ronde avec son fils « X », pour succinctement évoquer sa croisade politique contre la bureaucratie en défaveur de la démocratie. Tout de noir vêtu, un pendentif orné d’une fusée autour du cou, coiffé d’une casquette noire avec le fameux slogan MOGA, son fils sur ses épaules, la scène relevait du parfait burlesque.

Le multimilliardaire accompagné de son fils quitta ensuite le Parlement où l’attendait une voiture haute gamme, la Cybertruck, que venait de lui livrer un chauffeur privé. Le père et le fils entrèrent donc dans le véhicule, mais non sans peine, car X ne voulait pas du tout y entrer. De force, assit X sur la banquette avant. L’enfant pleurnichait vivement, et Dustin entra en sainte colère. Il démarra la voiture en reculant brusquement, sans regarder dans le rétroviseur. Il sentit que son parechoc avait buté quelque chose derrière tout en entendant un léger gémissement : aie ! Dustin regarda nerveusement dans le rétroviseur et remarqua un homme d’une cinquantaine d’années bien mis, couvert d’un chapeau melon, tenant une valise avec des gants de cuir. Il se précipita aussitôt à l’extérieur pour s’excuser auprès de l’homme à la valise. C’était Chance Gardiner (Hasard Jardinier). Celui-ci se tenait la jambe, la cuisse plus précisément tout en la massant. Dustin s’excusa auprès du pauvre monsieur, puis dit : « Avez-vous mal à la cuisse ? Comment puis-je vous aider ? » Chance continuait de se masser la cuisse. Elon alors de dire un peu agité : « Je vais à l'instant appeler une ambulance. Ah, puis zut, non ! Je vais plutôt vous conduire directement chez moi où un médecin pourra constater l’état de votre jambe et la soigner. Je me présente : je suis Dustin Dust, figure bien connue du public. »

Tout en serrant la main du multimilliardaire, Chance accepta gentiment l’offre. « Je m’appelle Chance Gardiner », dit-il doucement. Dustin le fit entrer dans la voiture, tout en précisant à X, qui venait de se calmer, qu’il amenait Chance à la maison pour vérifier l’état de sa jambe qu’il venait par mégarde de percuter.

Dustin présenta son fils à Chance. Celui-ci, qui aime beaucoup les enfants, fut ravi de faire la connaissance de X. Chance dit alors « La nature ne fait rien en vain. » Les deux mains sur le volant, Dustin fut enchanté par ce mot sibyllin de son hôte. Il répondit à Chance :

- Vous avez parfaitement raison. J’ai plusieurs enfants. Douze, en fait ; dont un qui est malheureusement décédé. Aujourd’hui, dans le fabuleux monde woke, on refuse désormais de donner naissance à des enfants parce que, pense-t-on, l’avenir est incertain pour eux, peu propice. Ils allèguent entre autres les prétendus changements climatiques. Je suis radicalement opposé à la pensée wokiste ! C’est proprement indigne de penser de la sorte. Monsieur Chance, je vous pose la question, où allons-nous de la sorte ?

Chance ne répondit rien. Il se contenta de sourire. Le richissime conducteur reprit :

- Nous sommes bien d’accord, monsieur Chance. Nous, les adultes d’aujourd’hui, nous devons nous prendre en main et offrir à la postérité un avenir florissant pour nos enfants.

Pour le moment, X dormait sur son siège tel un petit ange.

- En effet, poursuivit Chance, je ne dois pas laisser le jardin qu’on m’a confié se détériorer. Il faut l’entretenir, alors une multitude d’êtres vont s’épanouir ! J’ai constaté à profusion que la nature ne fait rien en vain.

- Encore une fois, j’épouse votre merveilleux pronostic, répondit le conducteur portant sa casquette et ses grosses lunettes teintées pour la conduite. Êtes-vous l’auteur de cette phrase pleine de sagesse : « La nature ne fait rien en vain » ?

- Oh, non, répondit Chance. Je regarde souvent la télévision. Une fois, lors d’une joute de Génie en herbes, la question fut posée : Qui est l’auteur de la phrase : La nature ne fait rien en vain ? La réponse est un certain Aristote. Je ne le connais pas. Je ne sais si cet Aristote est comme moi un jardinier, mais je souscris volontiers à sa pensée.

- En tout cas, reprit le richissime conducteur, c’est fort bien dit. Le vieux Aristote a parfaitement raison. Je connais pas bien ce philosophe grec Aristote. Je sais qu'il fut l'élève de Platon. Bon voilà. Aujourd’hui, les gens ont perdu foi en la nature. Tout est dénaturé, dégradé. Le mouvement wokiste va totalement contre la nature. Même chose pour le mouvement LBGTQ +.

- Dans le jardin, repartit Chance, il y a de tout. Il y a de bonnes pommes et de moins bonnes. Sans les mauvaises pommes, nous ne saurions si une pomme est bonne. Vous savez, en plus d’être jardinier, j’aime beaucoup les casse-têtes. Toutes les pièces sont bonnes à leur place. Il faut beaucoup de patience pour trouver l’endroit précis qui convient à telle pièce. Chacune fait partie d’un grand tout. Moi, je regarde attentivement l’image d’ensemble pour trouver la place qu’occupe les pièces. C’est la même chose pour ce qui concerne le jardinage.

- Ah, vous m’épatez, monsieur Chance ! Pendant que je vous écoute et bois vos belles paroles pleines de sagesse, il me vient à l’esprit un doute concernant mon affaire « Rodger ». Vous connaissez ?

- Pas vraiment, répondit le jardinier.

- Le Président Tramp, nouvellement élu, comme vous le savez, m’a demandé de diriger le département de l’Efficacité gouvernementale afin de réduire les coûts de l’administration fédérale océanique. J’ai désigné ma commission du nom de « Rodger ». C’est tout un casse-tête ! Or, vos propos à l’instant concernant justement le casse-tête m’invitent à penser que je m’y prends peut-être mal. Je souhaite réduire les structures gouvernementales globalement sans tenir compte des acteurs, c’est-à-dire des fonctionnaires – bref, des pièces du casse-tête, si je vous suis bien. Il faut partir des « semences », si vous préférez.

- La semence, acquiesça Chance, c’est la base du jardin.

- En effet. Il convient de partir des personnes impliquées dans le « jardin » gouvernemental. Génial !

- Le jardin n’existe qu’en raison des semences, répéta Chance.

- G é n i a l ! J’en parle au Président lors de notre prochaine rencontre.

Arrivé à destination, dans sa demeure sise à Washington, Dustin Dust stationna sa Cybertruck et ouvrit la portière où se trouvait Chance. Il lui tendit son bras et Chance sortit s’accrochant au bras droit du multimilliardaire. De l’autre côté, un domestique ouvrit la portière où se trouvait X, toujours endormi. Le domestique prit sur lui l’enfant et ils pénétrèrent dans la demeure de Dust.


Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Dessine-moi l'évolution !

L'UTILITARISME DE TRUMP