À propos de l’abolition du cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR)
Le chroniqueur Mathieu Bock-Côté (MBC) jubile[1] : Québec annonce la fin du cours ECR. D’après MBC, cela met finalement un terme à la sordide « machine de propagande au service du multiculturalisme et de l’idéologie des accommodements ‘raisonnables’. » Le chroniqueur exhulte à la victoire éclatante pour le nationalisme québécois contre cette soit-disante horreur sans nom qu’est le multiculturalisme canadien étendant ses sombres tentacules en territoire québécois.
Les
raisons invoquées en faveur du cours ECR par l’un des principaux concepteurs dudit
cours, le philosophe Georges Leroux[2] n’auront jamais persuadé
les nationalistes québécois, dont MBC en première ligne. En fait, Georges
Leroux n’a jamais plaidé pour le multiculturalisme, mais le pluralisme,
ce qui est différent. N’étant pas philosophe, mais sociologue, MBC passe par-dessus
ces nuances par trop abstruses. Certes, il lui est toujours loisible de mettre
dans le même panier multiculturalisme et pluralisme. D’ailleurs, son style à
l’emporte-pièce escamote tout sur son passage. Les subtiles distinctions
philosophiques ne sont pas sa tasse de thé.
MBC
mène une sorte de guerre sainte contre le multiculturalisme canadien à la
Trudeau, qu’il tient pour le mal incarné. Que propose-t-il ? Cela reste obscur.
Touchant
la religion, MBC se dit « catho-laïque ». Qu’est-ce à dire ? La reconnaissance
que le peuple québécois fut l’héritier du catholicisme. Cela nous le savions
déjà. MBC l’assume simplement. Ce qui demeure plutôt singulier.
Or,
à strictement parler, le catholicisme est une confession religieuse
chrétienne, pas une religion. Distinguons confession religieuse
de religion, ce que plusieurs confondent. MBC, comme bien d’autres,
limitent la religion à une confession religieuse, c’est-à-dire à une
doctrine, à un système de croyances.
MBC
parle et pense toujours en tant que sociologue. Ne l’oublions jamais. Par
conséquent, la « religion » s’inscrit toujours selon lui dans une société et
une histoire, même s’il s’agit en réalité d’une confession, à savoir un
système de croyances. Or, si cela convient à une certaine confession, une
doctrine, un système de croyances, voir une idéologie, cela ne vaut pas pour la
religion qui – l’étymologie latine le dit, religare, relier – vise à
relier l’homme à la transcendance.
En
somme, la religion – au sens de confession – constitue pour MBC un
phénomène purement social. La confession religieuse s’inscrit dans une
institution et implique, comme il se doit, un rapport de pouvoir. Par
conséquent, la confession fait partie de l’armature politique de la société. C’est
une institution comme une autre. De la sorte, la confession religieuse n’a rien
de transcendant, encore une fois d’un strict point de vue sociologique. Tout se
résume et se limite à la société. Il n’y a rien au-dehors de la société. Aucune
transcendance se trouve donc au-delà de la société.
Quand
MBC critique le multiculturalisme du cours ECR, il critique en somme la
légitimité de l’admission de différentes confessions religieuses – et non pas
de différentes religions. Pour Georges Leroux, la problématique est toute autre
bien qu’elle s’y apparente. Il s’agit du pluralisme, c’est-à-dire de la thèse
philosophique suivant laquelle il existe de droit une pluralité de vérités, de
doctrines et de croyances. Donc, une pluralité de confessions. Ainsi, le pluralisme
s’oppose au monisme. Le catholicisme, par exemple, se présente comme une
confession moniste. Mais le catholicisme n’est pas qu’une confession,
c’est surtout une religion. Comme je l’évoquais plutôt, il s’agit d’une
expérience personnelle transcendante.[3]
On
comprend alors que MBC conçoive l’éducation religieuse comme une méprise,
certes moins obscurante que bien d’autres, au sens où le catholicisme par
exemple parle de nous, de nos ancêtres, de notre histoire qui a contribué à ce
que nous sommes aujourd’hui.
MBC
est un rationaliste comme la vaste majorité d’entre nous. Un sociologue n’a pas
le choix d’être rationaliste en ce que tout s’explique par la société et son
histoire. Contrairement à bon nombre de rationalistes athées ou agnostiques, toutefois,
MBC admet cette héritage religieux, bien qu’il n’y souscrive pas personnellement.
L’approche « phénoménologique » de le religion lui est parfaitement
étrangère – comme d’ailleurs la vaste majorité de ses congénères rationalistes.
L’approche phénoménologique, au contraire, veut qu’un symbole religieux,
par exemple la croix, ait un sens en lui-même, autre que son sens véhiculé
socialement par la confession chrétienne. La croix, en effet, relie, rassemble,
ce qui est divisé. Mais de cela MBC n’en a parfaitement cure, comme d’ailleurs tous
ses congénères rationalistes.
Les
Égyptiens d’aujourd’hui doivent déterrer à chaque cinq ans le monument du
Sphinx enterré sous le sable. Ils ne savent plus ce que ce fameux Sphinx a pu
signifier pour leur ancêtres il y a quatre mille ans. L’État égyptien, soucieux
de sa culture immémoriale, exige ces travaux sans en connaître le sens du
monument. Ici, au Québec, la CAQ, a déplacé le crucifix de l’Assemblée
nationale pour le déposer dans un musée patrimoniale. On ne veut surtout pas
connaître le sens de ce symbole religieux. MBC le revendique sans accepter son
sens en lui-même, tout en témoignant de l’histoire du peuple québécois.
La
religion catholique – entendons, la confession chrétienne qui a prévalu au
Québec avant la Révolution tranquille – n’a d’intérêt que sociale et
historique. Elle fait partie de nos racines. MBC en convient parfaitement. Mais
il ne s’agit jamais d’une religion mais d’une confession. Car la
religion est foncièrement personnelle, subjective. Et de cela MBC n’en a en aucune
manière cure. La confession est parfaitement impersonnelle. Elle vaut pour tous
ses adeptes.
Or,
la religion est profondément personnelle au départ en tant qu’expérience intime,
intérieure. Là-dessus, c’est sans doute la psychologie des profondeurs mise au
point par Carl Gustav Jung (1875-1961) qui peut le mieux en témoigner. Le
psychanalyste, qui s’est opposé à son maître, Sigmund Freud, tient que le point
de départ du phénomène religieux, la racine de la religion, se trouve d’abord
et avant tout dans le psychisme individuel. Plus précisément, dans ce que Jung
a appelé l’« inconscient collectif » dans lequel se fond l’inconscient individuel.
Or, dans cet inconscient collectif, se trouve des « archétypes », c’est-à-dire des
matrices-formes communes à toute l’humanité. L’un de ces archétypes fondamentaux
est évidemment celui de Dieu. Le sacré-numineux de Otto y renvoie : force
invisible, puissance créatrice ou destructrice, énergie éternelle, émoi
supérieure, mort et renaissance, etc. Jésus l’a associé à un Père. Un Père
céleste. Si l’on songe au Notre Père : « Notre Père qui est au cieux...
» Pourquoi au cieux ? Pourquoi donc en haut ? – Parce que l’expérience humaine a
toujours vécu l’émoi transcendant devant la vertigineuse grandeur infinie du
ciel. D’où le sacré que nous désignons par « Dieu ». De plus, à la suite
de Jésus, ce Dieu est bienveillant comme l’est un père qui veille sur ses
enfants.
Évidemment,
pour les rationalistes que nous sommes devenus depuis le Siècle des Lumières,
il convient de quitter ce détestable anthropomorphisme et d’être enfin « raisonnable
». MBC nous fait encore une fois la leçon des Lumières de la Raison. Cet
anthropomorphisme relèverait de la société. N’en soyons pas dupes. Au fond, MBC
a raison, car la religion relève, non pas de la société, qui n’existe pas, mais
de l’expérience immémoriale des hommes.
Y
a-t-il donc une éducation à la religion ? Bien sûr. La tâche principale de toute
éducation consiste à faire advenir l’image archétypale de Dieu dans la conscience.
Mais le rationalisme ambiant est si puissant qu’il étend sa chape de plomb sur ce
genre d’éducation jugée parfaitement irrationnelle. MBC est l’un de ses
gardiens de la Raison.
[1] «
L’abolition d’un cours toxique », Le Journal de Montréal, jeudi le 21 octobre
2021.
[2] Voir
entre autres Différence et liberté, Enjeux actuels de l’éducation au pluralisme,
Montréal, Boréal, 2016.
[3]
Là-dessus, pour plus de détails, voir William James, Les formes multiples de
l’expérience religieuse. Essai de psychologie descriptive (1902). L’adjectif
‘descriptive’ indique une approche ‘phénoménologique’ de la vie religieuse. Par
‘phénoménologique’ il faut entendre une approche non-réductionniste à d’autres
phénomènes naturels (sociaux entre autres) qui seraient plus élémentaires et
explicatifs, qui s’en tient aux représentations intentionnelles du vécu
ou de l’expérience des personnes. C’est ainsi par exemple que Rudolph Otto (Le
sacré) a pu parler de l’expérience du sacré comme celle du « numineux », de
lumineux, certes, mais de terrifiant à la fois. En somme, dans l’expérience religieuse,
la conscience ordinaire fait une expérience hors de l’ordinaire qui la situe
dans une sorte d’espace plus grand qu’elle et où tout se trouve justifié, fait
sens. « Dieu » apparaît alors comme la clé de voûte.
RépondreEffacerIl semblerait que MBC ait été sensible à ton texte (l'a t'il lu?); pour qu'aujourd'hui en sa chronique du 28 octobre, il fasse l'éloge de l'apprentissage à débattre "sereinement" sous la grande couverture "trans-parente" de la démocratie en citant même Finkielkraut...