Ayn Rand et la guerre des Russes en Ukraine
Alisa Zinovievna Rosenbaum (1905-1982) alias Ayn Rand, s’exila
à l’âge de 21 ans de sa Russie natale, désormais sous la main de fer des bolchéviks, gagnant les États-Unis, plus précisément New York. La Russie soviétisée venait
de perdre à jamais une grande dame, écrivaine et philosophe.
Ayn Rand n’a jamais cessé de condamner son pays d’origine soumis à un régime totalitaire qui, encore aujourd’hui, malgré l’effondrement de l’URSS, avec Poutine, flirte toujours avec l’étatisme.
En quelques
mots lapidaires, voilà comment la romancière, auteure d’un chef-d’œuvre du XXe
siècle, Atlas Shrugged (La Grève), décrit succinctement les
racines de la guerre :
Si les hommes veulent s’opposer à la guerre, c’est à l’étatisme (statism) auquel ils doivent s’opposer. Aussi longtemps qu’ils adhèrent à la notion tribale
suivant laquelle l’individu doit être la pâture sacrificielle du collectif ;
que certains se donnent le droit d’en contraindre d’autres par la force ; que
certains bénéfices soi-disant le justifie – il ne saurait y avoir de paix à
l’intérieur d’une nation et aucune entre les nations.[1]
Voilà donc la racine du mal qu’est la guerre : l’État.
Ceux qui connaissent Ayn Rand, reconnaissent ici la philosophie politique de l’auteure :
le libertarisme. Au Québec, ainsi qu’au Canada, en France comme en
Angleterre, le libertarisme n’a aucune résonnance. Qu’est-ce que le libertarisme ?
Une philosophie politique qui met au centre la liberté individuelle comme vertu
principale du régime politique de sorte que l’État, sous toutes ses formes,
doit être rejeté parce que l’État brime la liberté individuelle. Le
libertarisme se distingue de l’anarchisme en ce que, étant une position de
droite sur l’échiquier politique (contrairement à l’anarchisme qui est un
libertarisme de gauche), il ne cherche pas l’égalité et admet les inégalités.
Le libertarien est celui qui considère, entre autres choses, que l’imposition
de taxes gouvernementales servant à niveler les inégalités économiques afin d’assurer
des services socio-économiques (comme l’éducation et la santé), constitue du vol
pur et simple. Enfin, le libertarisme (de droite) est un fervent partisan de l’économie
de libre marché. Dans le cas de Ayn Rand, le chapeau libertarien lui convient
parfaitement puisqu’elle a défendu bec et ongles le capitalisme, à telle
enseigne qu’elle reçut de la part de mauvaises langues le nom de « papesse du
capitalisme ».
Évidemment, la gauche la conspue. C’est pourquoi on ne la
connaît pas ni au Québec ni ailleurs, mis à part les États-Unis. Sait-on qu’après la
Bible, le livre le plus lut aux USA est Atlas Shrugged (publié en 1957) ? [2]
Il me semble clair que la venue au pouvoir en novembre 2016 de Donald Trump
marque en réalité la montée du libertarisme aux USA. Les Démocrates, ainsi que
la gauche partout ailleurs, ne se doutaient nullement – où plutôt, ils
souhaitaient bien refouler le phénomène – de l’importance du libertarisme qu’on
désigne péjorativement comme le « Bible Belt » ou encore le « Red Neck Power ».
Quoi qu’il en soit, les États-Unis accueillirent en 1926
la géniale Russe, douée autant sur le plan littéraire que philosophique. Mais
laissons là ces considérations externes, pour ainsi dire, et allons droit au but, à savoir la guerre en Ukraine menée par l’État russe sous la férule de Poutine.
L’idée fondamentale qu’il importe de bien saisir, c’est celle
de l’inconscient collectif russe marquée tout au long du XXe siècle par l'étatisme. À mon
sens, il s’agit d’une conception de la vérité et, également, comme ce qui en
découle, de la liberté. Un mot résume les deux concepts inscrits
dans l’inconscient collectif actuel russe : le paternalisme.
Le paternalisme se présente comme un parent bienveillant
qui veut le bien de son enfant. En résumé : le paternalisme constitue l’attitude
d’un gouvernement voulant que ses citoyens vivent de la manière la plus
bénéfique qui soit, qu’ils en soient ou non conscients, qu’ils le reconnaissent
ou non, peu importe. Le mot d'ordre est le suivant : c’est bon
pour vous, faites-le !
Après deux ans et plus au Québec de gestion gouvernementale
de la pandémie par le premier ministre François Legault, les Québécois sont
tannés du paternalisme. « Faites-vous vacciner, c’est bon pour vous
et pour les autres ! » Ce qui est caractéristique du paternalisme, c’est
que personne ne peut soulever un doute, une critique. « Ferme ta gueule, et
obéis ! » C’est précisément ce que le convoi des camionneurs, autant à
Ottawa qu’à Québec, souhaitait vilipender. Un raz-le-bol généralisé. C’est d’ailleurs
la raison pour laquelle les apparitions de François Legault se font rares. Il comprit – c’est tout à son honneur – qu’il devait se retirer, car la
paix sociale était menacée. Des élections viennent prochainement, et le chef de
la CAQ entend les gagner.
Or, cette attitude paternaliste nauséabonde que François
Legault a distillé insidieusement, rappelle celle de la vieille Église catholique
qui subjugua les Canadiens français en les maintenant dans l’obéissance servile, la soumission et la démission. Hier, nous disions : « Hors de l’Église,
point de salut ! » ; aujourd’hui : « Hors de l’État, point de
salut ! » L’inconscient collectif d’un peuple, d’une nation, n’est pas une
fantaisie chromatique d’un vieux fou qui eut pour nom Carl Gustav Jung. Très
profond la psyché humaine ! François Legault, en priorité, devrait s’y
intéresser absolument.
Maintenant, Vladimir Poutine. C'est l’homme de la
Toute-Puissance. François n’a nullement – heureusement ! – la carrure de Poutine.
Comme bien d’autres avant lui, dont son prédécesseur, Joseph Staline, Poutine se
croit Tout-Puissant. L’inconscient collectif russe hypnotise, mesmérise, endort,
la vaste majorité des Russes. Staline a laissé des traces indélébiles - et débiles.
Il fallait voir le vendredi 18 mars dernier, pour le 8e anniversaire de
l'annexion de la Crimée, Vladimir Poutine dans un stade Loujniki bondé où des
milliers de Russes l’acclamaient. Sidérant. Consternant. Le Prince de l’État, l’héritier
de Staline, le Dictateur in visu, applaudit à tout rompre par ces Russes tous
manipulés, mesmérisés. Le bon Papa Poutine va les sauver des vilains néonazis pro-démocratie
qui veulent tous envahir la Russie. Ce moment est historique. Il est peut-être
l’un des premiers jalons conduisant à la 3e guerre mondiale. Qui
sait ?
Peu importe. Dieu veille. Lui, le Tout-Puissant d’Amour.
[1] Ayn Rand, « The Roots of War
», in Capitalism : The Unknown Ideal, New York, Signet, 1967, p. 39. Ma
traduction.
[2]
La traduction française devra
attendre jusqu’en 2011 chez les Belles Lettres, soit 54 ans plus tard. Cela en
dit long sur l’inintérêt porté à l’endroit de la « papesse du capitalisme »
ailleurs qu’aux USA.
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