La psyché du va-t-en-guerre

 

Depuis le début de l’‘opération militaire’ menée par Poutine contre l’Ukraine, le 24 février dernier, je ne cesse de m’interroger sur les motifs psychiques du président russe. Mégalomanie, bien sûr. C’est-à-dire désir forcené de toute-puissance. La vaste majorité des êtres humains veulent survivre. Dans certains cas, la lutte pour la survie aiguillonne la toute-puissance. L’adage latin Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre) s’applique parfaitement à notre va-t-en-guerre russe. Que se passe-t-il donc dans la psyché de Poutine ?


Essentiellement, l’inconscient personnel et collectif animent notre psychopathe. Au plan personnel, je ne connais pas du tout l’histoire de l’enfance de Poutine. Mais l’inconscient collectif russe, certainement. Évidemment, Poutine n’a sans doute pas conscience de cet inconscient collectif qui l’engage. On évoque, avec justesse, l’empire russe d’avant la révolution bolchévik qui hante l’inconscient personnel de Poutine. La main de fer aussi d’un Staline qui exécuta près de 12 millions de paysans russes, doit aussi intervenir. En somme, je ramasserais l’inconscient collectif russe par le mot de « collectivisme ».

Le collectivisme signifie la soumission de la personne individuelle à un groupe, que ce soit une race, une ethnie, une classe ou un État. Le collectivisme nie toute dignité à l’être humain de sorte qu’il n’est qu’un maillon dans la chaîne au service du « bien commun » établit par le ou les dirigeants. Les Russes ne sont donc que des pions entre les mains de leur tout-puissant président. Or, ce collectivisme, marquant l’inconscient collectif russe, ne date pas d’hier, mais règne depuis l’époque des tsars. Le communisme établit par la Révolution rouge de 1917 n’est qu’une autre forme de collectivisme. Il convient donc de comprendre les actions actuelles de Poutine en fonction de cet inconscient collectif collectiviste.

Or, il n’y a pas que la Russie et son président actuel qui disposent d’un inconscient collectif, mais toute nation, tout peuple, toute culture. Nous-mêmes, ici au Québec, nous disposons d’un puissant inconscient collectif collectiviste - évidemment à un degré moindre que celui de la Russie, mais tout de même prégnant. Rappelons-nous seulement l’emprise de l’Église catholique qui assurera la survie des Canadiens français. Hier nous disions : « Hors de l’Église, point de salut. », aujourd’hui : « Hors de l’État (québécois) point de salut ». La gestion par le gouvernement québécois de la récente crise sanitaire exhibe de manière éloquente le collectivisme dans l’inconscient collectif québécois. Comparez la différence d’avec la Suède où l’inconscient collectif n’est pas du tout marqué par le collectivisme.

La vaste majorité d’entre nous, les experts et les intellectuels en particulier, doutent de la notion psychologique de l’inconscient collectif provenant de la psychologie des profondeurs mise au point par Carl Gustav Jung (1875-1962). Elle ne serait pas mesurable et quantifiable. La science moderne exerce sur nous un important empire – au plan de l’inconscient collectif encore une fois. (Hors de la Science, point de salut.) De sorte que cette vaste majorité considère se « connaître » assez bien, c’est-à-dire que chacun prétend connaître assez substantiellement son propre moi. Demandez par exemple à Poutine, s’il se connaît bien. Il vous répondra – s’il est de bonne humeur, bien entendu – qu’il se connaît parfaitement bien.

Dans l’Antiquité, Socrate emprunta une devise inscrite au Temple d’Apollon à Delphes : Gnoti Seauton (Connais-toi toi-même). Évidemment, la démarche rationnelle socratique n’a pas grand-chose à voir avec la démarche psychanalytique élaborée par Jung. Tout de même, Socrate avait compris que qu’avant de s’engager dans les affaires de la cité, il faut se connaître. L’idée chez Jung c’est que la « connaissance » socratique se limite au moi conscient – à la raison, en somme. À la suite de Freud, Jung nous invite à connaître, non plus le petit moi conscient limité, mais le Soi inconscient.

Si Poutine avait le courage d’entreprendre une démarche de connaissance du Soi, il comprendrait que son moi l’en empêche car son moi, son je, est tout-puissant. Son moi se suffit à lui-même. Il découragerait ses citoyens à entreprendre une telle cure psychanalytique. Le problème toutefois est qu’alors le peuple russe ne se débarrassera jamais de l’emprise de son inconscient collectif collectiviste.

Un homme bat sa femme. L’inconscient collectif y joue un rôle déterminant : les femmes, étant perçues par les hommes comme inférieures à eux; elles, elles use en contrepartie de stratagèmes afin de maintenir son homme dans son joug. Les hommes ont tout intérêt à se sortir de cet inconscient collectif. De même les Russes : les partisans de la démocratie ne sont pas tous de méchants néonazis, comme le croit erronément et fermement le petit moi de Poutine.

Je conclurai par ce passage de Jung tiré de son essai Présent et Avenir (1957) :

La doctrine d’État, qui semble détenir la toute-puissance, sera pour son compte gérée et cultivée au nom de la raison d’État par les plus haut gouvernants qui réunissent en eux tout le pouvoir. Quiconque atteint à ces postes, que ce soit par l’élection ou par l’arbitraire, n’a plus d’instance contraignante au-dessus de lui – puisqu’il est l’incarnation de la raison d’État – et il pourra, dans le cadre des possibilités données, agir à sa guise et selon son bon plaisir.[1]



[1] Carl Gustav Jung, Présent et avenir, Paris, Buchet/Chastel, Livre de Poche, 2021, p. 18.

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