Mise au point sur Poutine et le postmodernisme

 

J’ai reçu des critiques de mon texte précédent.






La plus importante de ces critiques porte sur le fait que mon texte manque d’informations historiques touchant l’histoire de la Russie ainsi que de l’Ukraine.

Juste. J’avoue en effet ma piètre connaissance de l’histoire de la Russie et de l’Ukraine. Je ne suis pas historien, et sans doute qu’une meilleure connaissance de l’histoire de ces deux pays auraient atténué  certaines de mes affirmations, dont celle en ouverture suivant laquelle Poutine aurait lancé sans aucune forme de légitimation l’accusation de nazisme en Ukraine.

En fait, une rapide recherche[1], m’aurait permis d’identifier des manifestations non-équivoque de nazisme ou de néonazisme dans certains groupes d’extrême droite ukrainiens. On songe au nationaliste ukrainien, Stepan Bandera. Je ne savais pas – j’en fais mon mea culpa - que depuis de nombreuses années, Poutine – depuis 2014 en fait,– avançait que les Ukrainiens n’étaient rien d’autre que des « fascistes », déclaration faite au moment de la révolution de Maïdan et de la guerre civile au Donbass opposant les séparatistes prorusses au gouvernement ukrainien. Selon la Russie – ou la propagande russe, c’est selon -, ce sont les partisans de Bandera qui auraient orchestrés un « coup d’État » lors de la révolution de Maïdan qui a chassé du pouvoir le président prorusse Viktor Ianoukovicht.

Quoi qu’il en soit, nonobstant cette réalité historique du « néonazisme » en Ukraine préexistant avant la guerre actuelle, il faut convenir que cette accusation de Poutine contre l’Ukraine – surtout comme son président, Volodymyr Zelensky, juif d’origine - constitue un sophisme celui de la généralisation abusive. Si l’on ne s’entend pas là-dessus, inutile de poursuivre la discussion.

Mes informations sont tirées de Radio-Canada. Déjà, j’entends les critiques fusées contre moi me condamnant, me traitant de myope et de borné, nombreux étant ceux et celles que ne font plus du tout confiance à l’information reléguée par Radio-Canada, le traitement de l’information étant  formatée selon le « narratif » gouvernemental.

On constate donc la problématique dans laquelle nous sommes enlisés. D’une part, il faut prendre position sur des sujets litigieux et complexes ; donc, il faut bien s’informer. Mais, d’autre part, il faut valider nos sources d’information qui ne sont plus neutres et transparentes, toujours sujettes à un « narratif » biaisé. Cette problématique conduit au scepticisme radical. Comme je le soutiens dans mon texte, le wokisme soutient le relativisme. Ce qui conforte le point principal de mon texte : la vérité fout-le-camp. Voilà l’état des choses au plan psychique : la division règne en roi et maître, et la vérité devient inaccessible, puisqu’elle n’existe plus (apparemment). Comme je le montre dans mon texte, l’homme moderne (Descartes en tête) donna naissance à l’homme postmoderne.[2]

Ma seule référence concernant la Russie ou l’ex-URSS, demeure Alexandre Soljenitsyne. Je lus il y a longtemps, Le premier cercle (1968). Mon souvenir reste vague; je fus alors terrorisé par cette lecture. Jamais je ne voulus désormais entendre parler de la Russie. D’autant qu’au cégep, alors étudiant en philosophie, on m’avait enfoncé dans la gorge Marx et Lénine. J’avoue donc traîner une blessure psychique profonde contre tout ce qui vient de la Russie.

Mon « narratif » (mot que j’excrète) de la vie psychique russe provient de Soljenitsyne. Au plan psychique du peuple russe, donc de son inconscient collectif, il y a une croix (sans jeu de mots) poser sur l’archétype de la Vérité. La Vérité est crucifiée.[3] On n’a pas idée de l’importance fondamentale de cet archétype. Ceux qui connaissent la psychologie des profondeurs de Jung, savent que l’archétype de la Vérité est celui du Soi, l’archétype de la Totalité. Comme l’écrit la psychanalyste jungienne française, Viviane Thibaudier : « [Le Soi] est le centre archétypique de la personnalité totale, consciente et inconsciente qui est à côté du moi et qui s’oppose à lui. Il représente l’unification virtuelle de tous les opposés. »[4] Le Christ, dans la religion chrétienne, est précisément cette figure archétypale de la Vérité. « Je suis le chemin, la vérité et la vie. », écrit Jean l’évangéliste (14,6). Ce qui est remarquable ici, c’est que la vérité ne se décline pas en termes d’énoncés vrais, mais en termes d’une personne. Le Christ, comme personne incarnée dans Jésus de Nazareth, réconcilie, concilie, unifie, etc. Jung écrit :

Le Christ illustre l’archétype du Soi. Il représente une totalité de nature divine ou céleste, un homme glorifié, un Fils de Dieu, sine macula peccati (non souillé par le péché).[5]

Le Christ est un Homme sans péché, c’est-à-dire non-divisé, non-dissocié. Le fameux « péché originel » est justement la réalité psychique, suivant laquelle l’être humain est divisé, dissocié. Le Christ – nouvel Adam, selon le mot de saint Paul – représente la réunification de l’être humain. Et la croyance fondamentale en la résurrection du Christ, représente la fin de la division, de la dissociation, de la séparation à l’intérieur de la psyché. C’est là que le Soi apparaît dans toute sa gloire. C'est le Royaume des Cieux.

Le philosophe postmoderne par excellence, Michel Foucault, soutint pour sa part que la vérité est le pouvoir (politique). Or le pouvoir est division. À partir de Foucault, il n’y a plus de vérité, mais des pouvoirs en lutte. Il n’y a que des « discours » - des « narratifs » comme nous disons aujourd’hui. Au fond, le pouvoir devient indissociable du « narratif ». D’après le pape du postmodernisme, il n’y a pas de Vérité au-delà du pouvoir. Voilà la postmodernité.

Nous vivons actuellement dans cette postmodernité. La guerre en Ukraine n’y échappe pas. Il s’agit donc d’oppositions de « narratifs ». La guerre, c’est du narratif selon le postmodernisme. C’est précisément cela que je voulais signifier dans mon texte, à savoir que le Vérité a foutu le camp, ou plutôt nous l’avons envoyer paître. Toutefois, l’archétype, lui, demeure, et Il se manifestera en temps et lieu. Ce fut la vision de Hölderlin : « Là où le danger apparaît aussi le salut. » Le poète allemand fait ici référence à l’archétype du Soi, celui du Christ.

On me répliquera : « Voilà donc votre narratif. » Je réponds : « C’est la réalité, que vous le vouliez ou non. »

Dernier point. Denis Diderot, Philosophe des Lumières, écrit : « On doit exiger de moi que je cherche la vérité, mais pas que je la trouve. »[6] Fort moderne comme conception de la vérité. Celle-ci n’existe qu’en fonction de moi, de mon moi conscient. Diderot ne fait que paraphraser Descartes. On est ici à des années-lumières de saint Augustin qui soutint que l’on ne découvre pas la vérité, alors que c’est elle qui nous pousse à la découvrir.[7] En philosophie, cette conception de la vérité reçoit le nom de réalisme. Avec Diderot, le postmodernisme est donc un antiréalisme. Ce qui signifie que la vérité n’est pas du tout une construction (du moi conscient), mais une réalité attendant d’être découverte.

Nous sommes actuellement coincés dans les feux émotifs que la guerre engendre. Un jour, se manifestera la Vérité dans toute sa splendeur.

Paix et Joie !



[1] Laurence Niosi, « Dénazifier l’Ukraine ? La propagande de Poutine à l’épreuve de la réalité », Info Radio-Canada, le 10 mars 2022.

[2] Pour ma part, je tiens le philosophe français Michel Foucault (1926-1984) comme l’un des principaux représentants du postmodernisme.

[3] Je tire la citation mise en exergue de l’écrivain russe d’un ouvrage Soljenitsyne le croyant, textes colligés par André Martin, Paris, Alabatros, 1973, p. 15.

[4] Viviane Thibaudier, Découvrir Jung. Une voie thérapeutique pour devenir soi, Paris, Eyrolles, 2021, p. 163.

[5] C.G. Jung, AIÔN, Études sur la phénoménologie du soi, Paris, Espaces libres, 1983, p. 69.

[6] Pensées philosophiques # 29.

[7] Voir saint Augustin, De la vraie religion, chapitre 31.

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