À coeur battant ou le bouc émissaire

 

 


Christophe est un prénom courant. Pourtant, connaissez-vous l’étymologie de ce prénom familier ? Il vient du grec, Christos Phoros, signifiant le Christ porte ou transporte. Que porte donc le Christ ? Évidemment, en contexte chrétien, le Christ porte la (sa) croix. On dira aussi : les péchés du monde. N’est-ce pas là, à certains égards, ce que porte Christophe L’Allier (Roy Dupuis), le héros de la série À cœur battant qui, tristement, doit rendre l’âme bientôt à Radio-Canada.

Cette série est hors norme. Tant par la grande maîtrise du scénario, dû à l'immense talent de Danielle Trottier, que par le jeu époustouflant de tous les acteurs et des actrices sans doute dû au soin du réalisateur. Les téléphiles assistent à du grand Art. Par moment, on a affaire à une tragédie grecque. On songe en particulier à Œdipe de Sophocle qui tue son père et épouse sa mère, et qui, à la fin, se crève les yeux car la réalité crue devient tout simplement insupportable. On pourrait penser la même chose pour Christophe L'Allier qui confronte sa mère qui l'abusé.

Le personnage de Christophe L’Allier, psychoéducateur, est du même ordre, voire de la même trempe qu'Oedipe. Sorte de bouc émissaire des excès (hybris) de ses parents. Sa vocation consiste à tenter de désarmer la violence qui se terre en chacun-e de nous. Rien d'aisée. Lui-même fait tout en son pouvoir pour juguler sa propre violence résultant d’une enfance horrible soumis à de très sévères agressions sexuelles. Tout comme son frère aussi, Patrick (Jean-Nicolas Verreault), qui finira par s’enlever la vie devant Christophe et son épouse, Roxanne Dumoulin (Catherine Paquin Béchard). Ce moment hautement funeste est digne d’une anthologie.

Il faut regarder cette série au second degré, c'est-à-dire du point de vue de l’inconscient. Au plan de l’inconscient collectif, Christophe L’Allier représente la figure du Christ. Le psychologue suisse Carl Gustav Jung (1875-1961) parlerait quant à lui de l’archétype du Soi, le Soi étant la totalité de l’Être de la personne, totalité inconnue, il va de soi, du petit moi conscient de la personne. Or, Christophe s’achemine consciemment vers le Soi, bien que son moi conscient soit toujours victime des grandes blessures subies dans son enfance par sa mère Édith Leclerc (Micheline Lanctôt) avec son conjoint à l’époque, Bertrand Carignan (Normand Canac-Marquis). Ses blessures le hantent.

L’archétype du Soi est en réalité celui du Christ. Or, qu’est-ce le Christ ? On l’a dit : Celui qui porte les péchés des hommes. Le bouc émissaire par excellence. Christophe en est un digne représentant du Christ. Plus précisément, dans la tradition hébraïque, le Christ est ce qu’on appelle un bouc émissaire. Le livre biblique du Lévitique (XVI,1) en parle. Lors de la fête annuelle des Expiations, deux boucs sont sacrifiés. Le premier est immolé, son sang est aspergé sur la foule. L’autre, chargé de tous les péchés d’Israël, est envoyé dans le désert au démon Azazel. Son départ est sans retour. Le mal se trouve ainsi emporté par le bouc émissaire. De la sorte, le peuple se purifie.

On pourrait comparer le premier bouc de l’Expiation à Patrick L’Allier. Son frère, Christophe, représente le second, le bouc émissaire à proprement parler. Le peuple, c’est Édith, la mère, qui désire à tout prix restaurer la paix avec son fils Christophe qui se rebiffe. Sa vie tire à son terme, et Édith souhaite tirer un trait sur son passé d’agresseure afin de vivre ses derniers jours en paix. Mais Christophe n’accepte pas d'entrer dans le funeste stratagème. Il crie sa blessure devant sa mère et ne la cache pas. Sa blessure est celle de tous les hommes et femmes qui souffrent de violence. C’est en ce sens que Christophe est une figure du Christ. Il est le bouc émissaire de toute la violence subie par les hommes et femmes. Tels des fantômes, sa famille blessée par la violence marche derrière lui. C’est l’une des scènes les plus riches au plan symbolique, au plan de l’inconscient.

Merci à Danielle Trottier de nous hisser vers ces hauteurs libératrices et salvifiques. Certes, le Québec a fait le choix de mettre une croix (sans jeu de mots) sur la religion (catholique). Mais au plan de l’inconscient collectif, on ne saurait échapper à ces réalités inconscientes qui modèlent nos vies. Danielle Trottier, sans peut-être le réaliser pleinement, s'est faite le scribe qui rédige  nos blessures encore vives.

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