Penser l'âme au XXIe siècle
Dans la série La foi prise au
mot, éducation à la foi chrétienne, animée par Régis Burnet, une émission est
consacrée à l’âme, Penser l’âme au XXIe siècle. Deux invités échangent sur le sujet – difficile, il faut le reconnaître-, le Père Thierry Magin,
théologien et physicien, et Alejandro Pérez, théologien. En gros, le premier
divise l’âme en trois parties en intrication : le corps animé, l’intellect
et l’esprit. Cette dernière partie, l’esprit, constituerait selon le
théologien-physicien, une sorte de « sanctuaire » par lequel l’Esprit saint
intervient en nous. Le second intervenant est plutôt adepte du dualiste, le
corps d’une part, et la psyché, d’autre part. Le dualisme provenant de Platon,
repris ensuite par saint Augustin et couronné à la modernité par René Descartes,
conduisit malheureusement tout droit au matérialisme du siècle des Lumières qui,
il faut le reconnaître, règne en roi et maître aujourd’hui. La neurophilosophie
actuelle est entièrement dominée par le matérialisme, ou du moins, par diverses
formes de matérialisme. Doctrine remontant au philosophe grec Démocrite, reprit
ensuite par Épicure, le matérialisme nie toute réalité à l’esprit, la matière
seule existant. Selon le matérialisme, l’esprit n’est qu’une apparence qui naît
de la matière. Aujourd’hui, la neurophilosophie stipule que ce qu’on a appelé
jusqu’ici « l’esprit » ou « l’âme » résulte de l’activation des neurones dans
le cerveau.
S’il faut encore aujourd’hui parler
de l’âme, de l’esprit, voire de la psyché, il faut parler d’une « psychologie
sans âme ». En fait, la psychologie moderne n’a désormais que faire de
cette notion vide qu’est l’âme ou l’esprit. La science moderne – en
l’occurrence, la neurologie -aurait
démythologisé l’âme, comme elle a démythologisé le phénomène naturel de la
foudre des dieux (celle de Zeus) prouvant qu’il ne s’agit que d’un phénomène essentiellement
de nature électrique.
Or, le XXe siècle, à côté de la
psychologie moderne, a vu naître en son sein une psychologie des « profondeurs
» : la psychanalyse de Freud ainsi que la psychologie analytique de Carl
Gustav Jung. Cette psychologie des profondeurs distingue dans la psyché humaine,
d’une part le conscient, et l’inconscient d’autre part. Jusqu’à l’avènement de
la psychologie des profondeurs, l’âme se réduisait à la conscience. Le
fameux cogito cartésien - le je pense, donc je suis – réduisit en somme
l’âme à la conscience, c’est-à-dire aux pensées claires et distinctes appartenant
à l’ordre de la raison. Chez Descartes, les rêves n’ont aucune espèce de
réalité et n’appartiennent pas à ce titre à l’âme. Descartes nous a légué une
forme fort réduite de l’âme humaine.
Or, le rêve, dans la psychologie
des profondeurs, est l’expression de l’inconscient – constitué des désirs
sexuels refoulés chez Freud ; des archétypes chez Jung appartenant à
l’inconscient collectif. Certes, les rêves ne semblent pas rationnels
n’obéissant pas à la raison. Ce sont des histoires à dormir debout que
justement Descartes proscrit. Si pour Freud l’inconscient est négatif au sens
où il ne recèle que des désirs refoulés (une sorte de poubelle), Jung conçoit
l’inconscient de manière positive en ce sens où l’inconscient recèle des images
ou des modèles primitifs (les archétypes) acquis par nos lointains ancêtres.
Prenons comme exemple, le slogan du Cirque du Soleil : Le soleil se
lève à nouveau. Tel quel, le slogan est faux car le soleil ne se lève pas puisque
c’est la terre qui tourne de manière diurne sur son axe. Or, le slogan doit
être pris en son sens symbolique et non littéral. Au sens symbolique, le
soleil représente la vie, la puissance de vie. Après l’obscurité de la nuit,
vient le jour, la lumière du jour. Tout peut dès lors recommencer. Le slogan
appartient donc à l’archétype solaire inconscient. On peut assurément montrer
que le christianisme use de l’archétype solaire dans sa proclamation centrale
de la résurrection de Jésus Christ lequel annonce la résurrection après la
mort. N’oublions pas que Jésus Christ est tenu comme la Lumière du
monde. Il ne fait aucun doute que le Christ découle de l’inconscient collectif.
Or, chacun de nous, qu’il soit
croyant ou non, recèle dans sa psyché, l’archétype solaire. La vaste majorité
d’entre nous n’en sommes pas conscients. On comprend dès lors que réduire l’âme
ou la psyché au seul conscient, c’est oblitérer une vaste part de l’âme
humaine. Mais la science moderne est si cartésienne, rationaliste, qu’elle
rejette systématiquement l’inconscient et, donc, la légitimité de la
psychologie des profondeurs – du moins dans sa version jungienne.
Si le conscient fait appel à la
raison, l’inconscient, lui, a recours au langage symbolique. Reprenons
l’exemple du slogan du Cirque du Soleil : du point de vue de la raison, le
slogan est faux ; du point de vue du symbole solaire, le slogan porte en
lui une forme d’espérance car il annonce la renaissance, le renouveau, que ce
qui se présente comme fermé reste ouvert ou va s’ouvrir à nouveau.
La tradition occidentale a préféré
le conscient à l’inconscient. Mais on ne saurait réduire l’être humain – son
âme -, uniquement grâce à la raison. Une part essentielle de nous-même
appartient à l’inconscient collectif de l’humanité. Voilà, rapidement esquissé,
ce que la psychologie des profondeurs de Jung apporte à la question de l’âme au
XXIe siècle.
Dernier point. Lorsque le partisan
du matérialisme affirme que seule la matière existe, il s’agit bien là d’une
vue de l’esprit, car sans l’esprit le matérialiste ne pourrait rien dire. En ce
sens, je serais plutôt adepte du dualisme, mais d’un dualisme fort différent de
celui de Descartes. Le dualisme qui est le mien me semble être celui du double-aspect.
Autant donc la matière que l’esprit sont légitimes. En effet, je ne puis
concevoir la matière sans un esprit et, inversement, je ne puis concevoir
l’esprit sans la matière. Dans ce dernier cas, il apparaît impossible de
concevoir l’esprit sans un support matériel, mais ce support ne suppose pas que
l’esprit soit réductible à la matière, ou ne soit que matière. L’émergentisme,
qu’évoquait Alejandro Pérez, explique que l’esprit émerge de la matière mais
n’est pas causalement reliée à la matière. En gros, il s’agit de l’hylémorphisme
d’Aristote où matière (hylè) et forme (morphè) sont
indissolublement liées. Dans l’hylémorphisme, en effet, on ne saurait concevoir
une matière sans forme.
Matière et esprit semblent
indissociables. En effet, et cela s’explique par la psychologie des profondeurs
de Jung. C’est que matière, d’une part, et esprit de l’autre,
renvoient à deux archétypes majeurs dans l’inconscient (collectif). Il y a
l’archétype de la matière-mère ; mère parce que la matière est
féconde, d’elle naît la vie. Il y a ensuite l’archétype de l’esprit-père
qui féconde la matière-mère. Nous sommes dès lors renvoyés aux archétypes
centraux de l’Anima (féminin) et de l’Animus (mâle).

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