Job et la souffrance éducatrice

 


 

Quand tout va bien, croire en Dieu est aisé. Lorsque tout va mal, qu’abonde le malheur, la foi devient difficile, voire impossible. Surtout, lorsqu’il semble que Dieu met du temps à nous répondre. On pourrait résumer ainsi le propos central du Livre de Job.

Commenter le livre de Job n’est pas une mince tâche, car le texte pose de grandes difficultés. D’abord, il faut dire qu’il s’agit d’un récit fictif probablement rédigé après l’exil du peuple Hébreux à Babylone, soit aux alentours de 450 avant notre ère. Le personnage même de Job date semble-t-il de bien avant. Job paraît contemporain d’Abraham ou de Jacob. Il convient donc de le situer dans la première moitié du IIe millénaire avant notre ère. Il ne s’agit pas d’un personnage historique, tel Abraham ou Jacob, qui ait réellement existé. Il est sorti tout droit de l’imaginaire d’un auteur dont on ne connaît parfaitement rien par ailleurs. On sait seulement que c’est un juif cultivé ayant vécu en Palestine après l’exil. Un « Sage », comme on les appelait à l’époque. Quant au pays de Job, il semblerait que ce soit celui d’Ous, et non de la Palestine, comme l’affirme d’ailleurs le prologue. Job est donc Édomite, comme ses amis qui l’interpellent afin de le consoler : Éliphaz de Teiman, Bildad de Shouah et Sophar de Naamah ; enfin, dernier intervenant, Élihou le Bouzite. Aucun n’est israélite. D’après Jean Steinman, « les amis de Job sont censés vivre avant Moïse et n’avoir pas bénéficié des révélations divines. Ils ignorent le nom propre de Yahvé et ne s’en servent jamais. »[1] De plus, les quatre amis en question «… censés vivre dans les oasis édomites au temps des Patriarches, ne s’expriment pas du tout en contemporain d’Abraham, mais en contemporain de l’auteur… », soit, comme je l’ai dit, aux alentours du Ve siècle de notre ère.

Cela dit, une chose semble assurée : la loi de rétribution domine tout le Livre de Job. La souffrance, le malheur, s’explique par le péché. Si Job est frappé par le malheur, c’est qu’il a sûrement péché. C’est d’ailleurs ce que lui répète à satiété ses quatre amis. Job, lui, refuse l’explication que ses malheurs découlent de ses péchés, car il allègue qu’il n’a rien fait de mal. D’où sa lancinante interrogation : Pourquoi Dieu m’accable-t-il de tant malheurs ? Comme nous dirions aujourd’hui : Qu’aies-je donc fait au bon Dieu pour être accablé de tant de malheurs ?

La réflexion que propose le Livre de Job se situe donc dans le cadre de la loi de rétribution qui avait cours à l’époque, soit après l’exil. En fait, si Job souffre, c’est que Dieu le punit. Mais Job prétend qu’il n’a rien fait de mal. Dieu l’accable, et Job entre pour ainsi dire en procès avec Dieu. Ce procès procède à l’évidence du schème implicite de la loi de rétribution.

Une autre piste, plus prometteuse à mon avis, plus proche de l’Évangile, est celle la souffrance éducatrice. Dieu ne fait pas ses comptes avec nous. Si Job souffre, c’est afin qu’il approfondisse sa relation avec Dieu. D’ailleurs, dans l’épilogue du livre de Job, Dieu se présente devant Job lui rappelant la grandeur de ses œuvres. Devant le plaidoyer de Dieu, Job va finalement retirer ses récriminations contre Dieu. À la fin, Job reconnaît Dieu, qui Il est dans son essence, sa nature: « Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant mes yeux t’ont vu. » (Job 42,5)

Job apprend donc quelque chose de fondamental sur Dieu. Le malheur a donc ceci de bon : lorsqu’on en est victime, il nous pousse à chercher à nous en libérer en raffermissant notre confiance en Dieu. Bref, le malheur est l’occasion de mieux connaître Dieu. Comme je le disais au début, quand tout va bien, nous tenons pour acquis Dieu et sa bienveillance. Lorsque le malheur frappe, cependant, nous nous plaignons et en venons à accuser Dieu de son insensibilité. Job hurle devant le silence de Dieu. Il lui demande de s’expliquer. Ce que Dieu va faire. Alors, Job s’apaise, se tait et retrouve la foi en Dieu.

Job aura ainsi progressé dans sa vie de foi. Il dit maintenant connaître Dieu. Le psaume 50 nous dit, sinon qui est Dieu, du moins son intention vis-à-vis ce qu’il attend de chacun de nous : « Le sacrifice voulu par Dieu, c’est un esprit broyé. / Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé. » Ici, les sacrifices et les holocaustes ne tiennent plus. Nous ne sommes plus en schéma de rétribution. Il convient alors d’entrer en soi-même afin de bien mesurer notre état de désespérance vis-à-vis de Dieu. Cela fait, une nouvelle alliance peut avoir désormais cours. Le schéma rétributif est si prégnant dans le livre de Job que Dieu rétablit les biens de Job dans son intégralité d’antan. Dans le schéma éducatif, une nouvelle ère s’instaure dans notre relation avec Dieu et, avec elle, une nouvelle terre, de nouveaux cieux apparaissent. Un nouvel espace de relation entre Dieu et nous se met en place.



[1] Jean Steinman, Job, Paris, Desclée de Brouwer, coll. Connaître la Bible, 1960, p. 11.




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